Randonnée
Comment survivre à l’ascension du Mont Kilimandjaro ?
Le nom impressionne mais en réalité, le Kilimandjaro, c’est l’alpinisme pour les touristes. Les trois seules choses qu’il faut savoir faire, c’est boire de l’eau, marcher doucement, tout doucement, et ne pas trop penser au petit Jean-Jacques.
Se préparer pour le Kilimandjaro : vêtements techniques et sport intensif On ne va pas se raconter d’histoires, le plus grand plaisir quand on se lance dans ce genre d’expédition, c’est l’équipement. On y pense des mois avant, on va faire des repérages devant les vitrines du Vieux Campeur - ce qui prend toujours un temps considérable puisque il y a une boutique différente pour chaque accessoire. On essaie, on hésite, on choisit une paire de collants ou de chaussettes comme on choisirait un smoking pour aller aux Oscars. Ce qui est important, c’est que le vêtement soit technique. Plus il est technique, plus il est vilain et plus il est cher… et plus le sentiment d’accomplissement au moment de l’acquérir est intense. Quand on mentionne le Kili, l’œil du vendeur du Vieux Campeur s’illumine, alerte et cupide. Le Kili, c’est pour les mecs qui ne sont jamais montés sur une montagne. On va pouvoir les arnaquer. Et en plus, ils seront contents. - Aaah ! Vous allez faire le Kili ? Ouais, super aventure. Mais c’est complexe de s’équiper pour le Kili parce qu’il fait chaud en bas, humide au milieu et très froid en haut. - Ah bon ? - Ouais. Du coup, il vous faut quatre types de chaussettes, une paire de collants synthétiques, une paire de collants en laine de mérinos et le sous-pull technique qui va avec, une doudoune légère avec capuche et une grosse doudoune sans capuche pour l’ascension finale, là il faudra un bonnet, vous avez un vrai bonnet technique ? Ah et il faut aussi une parka technique – ha ha non monsieur, non votre manteau de ski ne convient pas, t’entends ça Michel, il veut faire le Kili avec son manteau de ski… Donc je disais une parka technique, douze t-shirts techniques, des chaussures de randonnée amphibies, deux paires de gants, une polaire légère, une polaire épaisse, un pantalon de randonnée léger, un pantalon de randonnée moyen, un pantalon de ski, une couverture de survie et surtout des Balisto, c’est important ça les Balisto. - Et ça coûtera ? - A peine trois mois de salaire. - Super, merci monsieur, c’est justement ce que je comptais mettre. Parce que comme en plus c’est pas trop cher le voyage, ben on se disait qu’on pouvait se lâcher sur les vêtements techniques. On est contents. Vraiment. Ruinés mais c’est pas bien grave parce que cette polaire orange en poils, on la remettra au bureau tout le temps… c’est un bon investissement. On dirait pas comme ça, mais on a trois mois de salaire en vêtements techniques sur le dos L’autre étape indispensable, c’est la préparation physique. On a tout un programme. On va courir deux fois par semaine, on arrête de boire pendant un mois et on mange sainement. Bon. En fait. En janvier, il fait froid, il flotte, il fait nuit tout le temps. On va peut-être pas aller courir. Déjà, je prends les escaliers une fois sur deux et en plus, il paraît que c’est pas si dur le Kili, c’est de la promenade. On sait faire, ça, se promener. Et puis le cidre et la bière, c’est pas vraiment de l’alcool, si ? Bref, on est prêts, affutés comme des lames. C’est l’heure de partir. Au pied du Kilimandjaro : briefing, formalités et abri à touristes Ethiopian Airlines, une escale gastronomique à l’aéroport d’Addis Abeba (le petit-dej le plus infâme de l’hémisphère Nord, pour l’expérience, ça vaut le détour), deux visionnages d’Everest dans l’avion pour se mettre en confiance et on arrive, frais, sur le tarmac de l’aéroport international de Kilimandjaro. Le temps de faire quelques selfies avec des Indiens, toujours volontaires, et on va prendre nos quartiers dans un hôtel mignon situé à proximité de la porte Machame d’où nous partirons le lendemain matin. On fait la connaissance de nos deux guides, Salum et Joshua, qui nous expliquent comment ça va se passer. On retient deux choses : il faut marcher tout doucement (« pole pole ») et si on ne vomit pas plus d’une fois par jour, c’est que ça va. Une fois par jour ?? Une fois par jour. L'indispensable selfie sur le tarmac avec un Indien On signe une décharge pour se mettre en confiance et ils vont vérifier notre équipement. On bombe un peu le torse. Côté équipement, on peut difficilement faire mieux. On a de quoi ouvrir une filiale du Vieux Campeur à Moshi. Pourtant, le moins qu’on puisse dire, c’est que Salum et Joshua n’ont pas l’air très impressionnés. Ils déballent tranquillement nos sacs d’un air un peu affligé. Ils jaugent puis finissent par nous dire que ça devrait aller, moyennement convaincus. On a le moral dans les chaussettes (en poil d’alpaga) et en plus ils ont foutu un bordel pas possible, faut tout refaire… On va se balader pour jeter un œil au sommet vu d’en bas. C’est beau et on a du mal à croire qu’avec un peu de chance, dans 4 jours, on sera en haut. On dîne en buvant de l’eau (c’est décidé ce coup-ci, on arrête l’alcool) et on va se coucher tôt. Demain, on attaque la voie Machame en 6 jours. On nous a dit que ce n’était pas la plus facile mais quand même celle où il y a le meilleur taux de réussite. On a accepté le paradoxe, c’est la « Whisky road », la voie des vrais alpinistes. On raille au passage ceux qui ont choisi la voie Marangu (surnommée « Coca-Cola Road »), bonne pour les vieillards, les pleutres et les infirmes. Le Kilimandjaro vu d'en bas L’aventure commence. Enfin l’aventure. On est deux et on a une équipe de douze personnes pour nous aider à monter : deux guides, un cuisinier et neuf porteurs. On est des aventuriers mais si on n’y arrive pas on a quand même l’impression qu’ils nous porteront jusqu’au sommet pour la photo (et ça, c’est l’erreur que le petit Jean-Jacques a faite). On part de la porte Machame et le premier camp pour la nuit est le camp… Machame. Très inspirés en matière de noms nos amis. A la porte, il y a une trentaine de groupes qui s’apprêtent à partir. Pendant que les guides vont remplir les nombreuses formalités d’entrée (et notamment la double pesée pour s’assurer que personne n’aura plus de 20 kg à porter pendant l’expédition), nous on est parqués dans un « abri à touristes » (« tourist shelter »). Là chacun se jauge, jalouse d’un œil expert la technicité remarquable de tel ou tel élément d’équipement, moque silencieusement le novice qui attaque déjà ses provisions. On évalue, à part soi, la probabilité de croiser son voisin au sommet. A côté du « tourist shelter » de la porte Machame un mardi de février, les coulisses de l’élection de Miss Wisconsin baignent dans une atmosphère follement bienveillante. Les formalités achevées – et c’est déjà très bon signe - on part les premiers, auréolés d’un petit complexe de supériorité. On n’a rien fait à part trois photos à côté du panneau Kilimandjaro (au cas où on renonce dans 2h, on aura quand même de quoi faire les malins en rentrant) mais si on part les premiers, c’est qu’on est les meilleurs. La voie Machame : du camp Machame au camp de base, Barafu, sans vomir La première journée est light, parce qu’on est parti quasiment à midi. On traverse la forêt, il fait tiède et humide, on déjeune d’un succulent poulet rôti. Commence surtout la rengaine absolue de l’ascension du Kilimandjaro : boire, marcher « pole pole », pisser, boire, pisser, marcher « pole pole », pisser, boire… On sort de la forêt en arrivant au camp, à pile 3000 mètres d’altitude (plus que 3000, on y est presque). Le camp en lui-même évoque plutôt l’élégance de celui, sous le métro aérien, de la place Stalingrad mais les paysages sont bien plus spectaculaires. On a vue d’un côté sur le sommet du Kilimandjaro et de l’autre sur celui du mont Meru. Au coucher de soleil, c’est sublime. Coucher de soleil sur le sommet du Mont Kilimandjaro depuis Machame Camp Au premier camp, on prend les petites habitudes qui ne changeront plus. Les porteurs ont filé devant nous pour tout préparer. Quand on arrive au camp, ils ont monté notre tente pour dormir et une autre tente pour prendre les repas. C’est palace. Certains groupes « de luxe » ont même une tente chiottes. Nous on se débrouille avec les petites cabanes façon « Slumdog Millionaire » plantées un peu partout dans la montagne. Plus on monte et plus ça devient… plaisant. Les fameuses cabines-toilettes du Kilimandjaro, propres et agréables Ensuite le rituel est toujours le même. Bassine d’eau tiède pour faire ses ablutions, goûter (popcorn et thé au miel), repos dans la tente ou sur le camp puis on retourne dans la tente-salle à manger pour le briefing de la journée du lendemain, la visite médicale (mesure du pouls, du taux d’oxygène, petit questionnaire sur l’état de santé général : nausées, maux de tête, maux de ventre, etc.) et le dîner. Les guides nous forcent à manger énormément. Pour nous donner de l’énergie et pour stocker car l’altitude fait souvent perdre l’appétit et ils veulent qu’il nous reste des réserves si on n’arrive plus à manger à l’approche du sommet. Un petit tour dehors pour observer les étoiles et on se couche. Ce sera, à peu de choses près, tous les soirs pareil. Les journées de marche s’enchaînent et le paysage est vraiment varié. Après la forêt du premier jour, on passe dans ce qu’ils appellent le moorland (la steppe ?) où la végétation est rase mais jolie puis, à la toute fin, dans le désert alpin. Par cette voie, on tourne autour de la montagne et les points de vue changent sans cesse. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si différent d’un jour sur l’autre. On monte assez vite. Le deuxième soir, on est déjà à 3750 m d’altitude, au Shira Cave Camp (dont la situation est exceptionnelle), le troisième à Baranco Camp (à 3900 m mais avec un passage à 4600 m dans la journée) et le quatrième, c’est le camp de base pour l’ascension, Barafu Camp à 4673 m. Chaque soir le pouls accélère un peu, le taux d’oxygène baisse mais on n’a toujours pas vomi, presque pas mal à la tête. Et chaque soir, on se dit qu’on va passer au travers du mal des montagnes et qu’on a vraiment une chance d’y arriver. Les journées sont assez longues mais on marche doucement et il n’y a aucune difficulté technique particulière. Le principal enjeu, c’est de trouver un rocher derrière lequel aller pisser tous les 300 mètres. Quand on marche, on parle peu, à part pour se moquer, beaucoup de nous-mêmes, un peu des autres. On croise souvent les mêmes personnes mais comme on est autistes (et français), on ne leur parle jamais. Alors on les affuble de surnoms ridicules. Et on se dit d’un air narquois : « si lui peut faire, je peux le faire, surtout la vieille là, ou le mec tout petit et barbu qui ressemble au gros copain de Frodon ». Voilà, on est au camp de base. Jusqu’à présent on n’a rien fait à part boire et manger du ragoût en quantités industrielle. Mais à se répéter « on est au camp de base », on finit par se prendre pour Edmund Hillary. Ca sonne bien « camp de base », ça sonne aventurier. Même rituel que d’habitude : goûter, repos, visite médicale (pouls 100 / oxygène 85%, c’est bon, on peut y aller), dîner gargantuesque (on n’aura jamais perdu l’appétit), dernier briefing et on va se coucher, pas longtemps parce que le réveil pour préparer l’ascension finale est prévu à 23h30. En fait de réveil, on ne se sera jamais endormi, hantés par le fantôme du petit Jean-Jacques (c’était le sportif de la bande, un warrior, et pourtant il a quand même fait une embolie pulmonaire en redescendant du sommet, on n’a rien pu faire…), le vent qui plaque la tente sur nous, les effets de l’altitude qui commencent à se faire sentir (sur le crâne, les poumons, le ventre…) et l’excitation de presque toucher au but. Summit night : le jour le plus long On ne dort pas mais on vient quand même nous réveiller. J’ai mal au ventre et envie de vomir pour la première fois de l’expédition, pas de pot. Il faut quand même se forcer à ingérer un infâme porridge pour se réchauffer et finir d’enfiler toutes les couches (de vêtements, hein, j’ai pas mal au ventre à ce point) : 2 paires de chaussettes, collant, pantalon léger et pantalon de ski, t-shirt technique, polaire, doudoune, parka, 2 paires de gants, écharpe, bonnet et capuche. Il va faire froid ; on monte le long de l’arête, à découvert, en pleine nuit et il y a beaucoup de vent. Il y a à peu près 6h d’ascension, entre 4600 et 5900 mètres. Et on a l’impression que ça en dure 34. Le soleil se lève derrière le mont Mawenzi, on touche au but... Comme il y a beaucoup de vent, Salum ne veut pas qu’on s’arrête ou alors 2 minutes maximum le temps de grignoter un petit truc pour garder un peu d’énergie. Il doit faire -15° ou -20° donc si on attend plus longtemps on gèle sur place. J’ai toujours la nausée, ma lampe frontale est tombée en panne au bout de 4 minutes et l’eau a gelé dans le tuyau de mon camel bag donc je ne peux plus boire. Jusqu’à présent, tout se passe exactement comme prévu. Les conditions sont optimales pour en profiter. Plus que 5 heures dans le noir à regarder les pompes du guide devant moi et à scruter le mont Mawenzi à L’Est. Quand le soleil commencera à poindre, on devrait approcher du sommet. Mais ça reste désespérément noir pendant un temps qui parait infini. On a l’impression de ne plus avoir une once d’énergie mais on continue à avancer, comme des automates, sans dire un mot, en scrutant la pression de l’altitude sur nos poumons, sans vraiment savoir si on va y arriver. De temps en temps, on voit quelqu’un s’arrêter, faire demi-tour. Et nous, on avance. C’est, sans hésitation, l’effort physique le plus dur qu’on n’ait jamais fait. Le froid, l’altitude, la fatigue… mais quand le mont Mawenzi commence à s’allumer, qu’il ne reste plus que quelques mètres avant d’atteindre Stella Point (le point bas du plateau qui forme le sommet du Kilimandjaro) et qu’on comprend qu’on va y arriver, la sensation est indescriptible. Les quelques glaciers qu'il reste au sommet du Kilimandjaro Il fait beau, le lever de soleil est spectaculaire. On marche encore 45 minutes le long du cratère pour atteindre Uhuru Peak, le point culminant de l’Afrique à 5895 mètres. Les autres montagnes nimbées de brume, le contraste du sable brun du cratère avec le blanc éclatant de ce qu’il reste de glaciers… on est épuisés mais le paysage est magnifique. On va faire les malins devant le panneau, très fiers… avant de réaliser qu’il y a 60 personnes qui arrivent au sommet chaque jour (y compris la vieille et le nain du Seigneur des Anneaux). Ca fait relativiser l’exploit. Voilà, au sommet du Kilimandjaro, frais et dispo Il ne reste plus qu’à redescendre, ce qui est en fait la partie la moins marrante (on est cuits et on n’a plus d’autre objectif qu’un lit, une douche et une bière à l’arrivée). Repas de fête au camp de base (jus de pomme, beignet de pain et omelette aux frites) et on continue à descendre jusqu’à 3000 mètres dans un camp sordide où on s’effondre immédiatement. Ca fait plus de 30h qu’on n’a pas dormi, en passant de 3900 m à 5900 m à 3000 m. On zappe même les popcorns. Le lendemain, on fait la cérémonie du pourboire avec notre équipe (sans les pourboires parce qu’on n’a pas de liquide, et pour cause, vu le taux de change, il faut une brouette), on se congratule en chansons, on retraverse la forêt l’esprit léger et on va signer une dernière fois le registre en bas de la montagne conquise. Avant de se dire définitivement au revoir, Salum nous emmène déjeuner. On prend le plat traditionnel du coin, poulet frites, et quelques bières. On est saouls. Et on apprend qu’en Tanzanie, quand on est nul à l’école, soit on devient guide sur le Kilimandjaro, soit on devient… instituteur. Bien vu. Joshua, Salum, Baraka, et tout l'équipe qui nous a aidés à grimper au sommet Photos Kilimandjaro